Polyrando: randonnées pédestres de 7 à 77 ans


Récit avec les photos

Contrairement au Pic Aneto (point culminant des Pyrénées) que j'ai gravi en 1995, l'ascension du Mont Blanc n'était pas un rêve d'enfant, mais un projet qui me tenait à coeur depuis quelques années.

Les randos itinérantes prévues en Grèce puis dans les Pyrénées espagnoles ayant été annulées, il me restait une dizaine de jours libres, soit juste assez pour préparer et organiser ma tentative (recherche d'infos sur internet, achat et étude de la carte, chargement des données GPS sur le Mont Blanc, etc...).

Mardi 15 Juillet

Après une très courte nuit (retrouvailles quelque peu arrosées obligent...), je pars pour Chamonix où j'arrive après une 1h20 de route. Je dois encore louer les chaussures et repérer le magasin dont Jean-Luc m'a fourni l'adresse. Le conseil de Jean-Luc est judicieux : le personnel du magasin est compétent et très professionnel. Vers 14h00, je quitte Chamonix (il fait à ce moment plus de 35° c) pour le village des Houches afin de prendre le téléphérique de Bellevue qui doit me mener à +/- 1.800 m. A quelques dizaines de mètres de l'arrivée se trouve le tramway du Mont blanc. J'attends donc dans cette charmante petite station intermédiaire le train en provenance de St Gervais .

Quelques minutes plus tard, après une montée vertigineuse, le train à crémaillères m'emene jusqu'au nid d'aigle situé à 2371m.

C'est ici que les choses sérieuses commencent ! Compte tenu de tout le matos que j'ai choisi de prendre avec moi, mon sac pèse près de 24 kg. J'attaque donc la pente en douceur. Le chemin n'est pas trop difficile et je monte les 600 premiers mètres sans difficultés. J'ai même le plaisir d'être accompagné durant une partie du trajet par un bouquetin avançant à seulement quelques mètres de moi. Je suis ma progression sur le GPS. Les waypoints déchargés depuis internet sont d'une précision absolue et d'une utilité certaine. L'altimètre du GPS est également utile. Peu après le passage de la cabane des ..., on commence à monter dans les rochers et les derniers mètres sont plus difficiles car on commence à longer dans une forte pente le glacier de Tête Rousse . Arrivé à hauteur du refuge de Tête Rousse (3.167 m), il faut cramponner et traverser le glacier pour rejoindre le refuge. Un bon exercice d'entraînement. J'arrive en fin d'après midi et commande un repas complet pour le soir. Entretemps, je pars monter la tente de 4,3 kg sur le glacier et m'installe confortablement.

Malgré l'altitude, il fait encore très doux et c'est le bonheur total : tout commence bien et seule la météo reste un sujet d'inquiétude. Même si le paysage est magnifique, le ciel rouge et les prévisions météo ne sont pas encourageantes pour les 2 prochains jours. Par contre, pour vendredi la météo annonce une amélioration temporaire. Alors que je suis sur le point de m'endormir, le vent commence à forcir et à exercer une tension sur la structure de la tente.

Mercredi 16 Juillet

J'ai doublé certains piquets et utilisé plusieurs grosses pierres pour maintenir les piquets enfoncés dans la neige et les tendeurs en place. Malgré cela, je dois me lever à 3h30 du matin pour refixer une partie du double toit. La force du vent fait en effet plier l'armature souple de la tente et vers 7h00 du matin, la tente bien qu'encore sommairement fixée s'effondre et je dois rassembler toutes mes affaires et plier tant bien que mal cette f... tente. Un véritable cauchemar dans ce vent de tempête.

Après une grosse heure d'efforts, j'arrive au bout de mes peines et décide de rejoindre le refuge pour prendre le petit déjeûner et réserver la nuit suivante. Durant la journée, je passe mon temps à étudier la suite du trajet, à observer les randonneurs montant au refuge du goûter et à observer les avalanches de pierres. J'en profite aussi pour recalibrer et alléger mon sac : je laisse notamment ma tente, mon gros sac de couchage au refuge (me contentant du "sac à viande"), et quelques affaires diverses ce qui me permet de réduire le poids du sac à +/- 16 ou 17 kg.

Jeudi 17 Juillet

Nouvelle nuit blanche (avec la promiscuité dans le refuge, pas moyen de dormir) et je sais que si j'ai la possibilité de dormir au refuge du goûter, ce ne sera pas mieux.

Malheureusement, compte tenu des prévisions météo, si je veux monter sur le Mont Blanc dans les meilleures conditions, je n'ai pas le choix. Je me mets donc en mouvement et commence la partie la plus dangereuse de l'ascension du Mont Blanc. Les chutes et avalanches de pierres sont en effet fréquentes et parfois très violentes. Je regrette fortement le casque que Jean-Luc m'avait proposé et comprends pourquoi on appelle ce passage "le couloir de la mort". Heureusement, le parcours est relativement bien balisé (il ne figure pas explicitement sur la carte) et j'ai eu l'occasion d'observer longuement les passages les plus délicats. En outre, le matin la température est encore assez fraîche et les chutes de pierre sont moins nombreuses. Alors que le refuge du goûter est à moins d'1,2 km du refuge de Tête Rousse, il faut plusieures heures pour le rejoindre. Ceci est du au dénivelé et à la forte pente qui sépare les deux refuges. Après avoir traversé le "couloir de la mort", il convient de suivre une arrête rocheuse dont certains endroits doivent être escaladés, sans que cela ne requierre pour autant une connaissance spécifique. Plus haut, le parcours est équipé d'une, voire de deux mains courantes permettant le cas échéant de s'assurer.

J'arrive au refuge du goûter (3.816 m) sur le temps de midi et sur base des informations fournies par les gérants du refuge, hésite à continuer jusqu'au refuge Vallot (4.392 m) non gardé. Ayant finalement été accepté dans le refuge (à condition de loger dans le réfectoire), je juge plus prudent d'y passer la nuit et de tenter de suivre d'autres cordées dans la nuit.

Cette fois je ressens à nouveau un grand bonheur : le pari de monter sans la tente a été payant et je sens que le Mont Blanc est à ma portée. Bien sûr, je manque de sommeil, mais physiquement, je n'ai jusqu'à présent pas eu de problème. Je retrouve ici des personnes que j'avais déjà rencontrées au refuge de Tête Rousse et tout comme dans ce dernier refuge, j'écoute attentivement les conseils que donnent les guides de montagne à leurs clients. Il y a énormément d'étrangers et très peu de français : des personnes originaires des pays de l'Est, des Italiens, des Belges (pour la plupart néerlandophones), des espagnols, ...

Le refuge n'est pas spécialement joli mais son emplacement est impressionnant : il domine le glacier de Tête Rousse de près de 700 m et du côté opposé est entouré par une muraille de glace de près de 5 m de haut.

Vendredi 18 Juillet

e suis allongé sur une table et en dessous de moi d'autres essayent également de dormir. Chuchotements et autres jusqu'à 22h15 alors que les premiers commencent à se lever vers 01h15 tandis que le petit déj. n'est disponible que vers 2h15 du mat. C'est pas vrai cet enfer ! 3 ème nuit blanche... Pour le petit déjeûner, ce n'est pas comme pour les autres repas : il faut aller le chercher puis trouver une place à table (c'est à dire mission impossible à 2h30 du mat si l'on est seul).

Je me suis fait piéger mais après tout, j'avais décidé de ne pas me précipiter et de laisser partir le troupeau. Je m'assieds donc sur un casier retourné jusqu'à ce que des places se libèrent. Je prends ensuite mon petit déj. à l'aise et vide encore quelque peu mon sac dont le poids ne doit plus dépasser à présent les 13 ou 14 kg, compte tenu aussi du fait que j'ai maintenant les crampons aux pieds, le piolet à la main et le baudrier autour de moi.

03h40 du matin. Je suis un des derniers à chausser les crampons et à allumer ma lampe frontale. Des dizaines d'autres randonneurs sont déjà partis. A la sortie du refuge, une forte pente sur +/- 50 m de dénivelés. On arrive ensuite sur une corniche et là le spectacle est impressionnant : quelques tentes (visiblement adaptées à la situation) sont plantées dans la neige à +/- 3.900 m d'altitude et se trouvent dans des trous creusés à un m en contrebas du sommet de la corniche. A se demander si ces téméraires dorment avec leurs crampons... N'empêche que je les envie !

Plus loin on distingue cet espèce de sentier lumineux composé de randonneurs qui gravissent le dôme du goûter à la lueur de leur lampe frontale. Le ciel est étoilé, la lune éclaire le paysage et l'on distingue une partie du relief. Dans la vallée les lumières des villages sont nettement persceptibles. C'est vraiment féerique.

A cette altitude, il gèle au sol et la température ambiante doit avoisiner les 0 ou - 1°, soit la température idéale pour ce type d'ascension. Je suis prudemment la corniche pendant une quinzaine de minutes avant d'arriver au pied du dôme du goûter. Malgré les lampes au loin, j'ai l'impression d'être seul dans la nuit.

J'adopte volontairement un rythme lent et pourtant j'ai l'impression que je m'approche peu à peu des derniers. La lune éclaire bien le paysage et je décide d'éteindre ma lampe.

Vers 4h30, j'aperçois une lumière derrière moi. Je décide de faire une pause et de l'attendre. Je pourrai ainsi peut-être tenter une photo. La personne a du mal à me rejoindre mais arrive finalement à ma hauteur. Il s'agit de Vlatko, un Croate habitant en Allemagne. Tous comme moi, Vlatko est une des rares personnes à entreprendre l'ascension seul. Nous symphatisons et décidons de continuer ensemble. Nous sommes en forme et discutons même pendant la montée. Peu avant le franchissement du dôme du goûter (+/- 4.250 m), nous dépassons un asiatique en difficulté qui semble cependant s'accrocher. Entretemps, nous avons déjà croisé plusieurs cordées qui redescendaient vers le refuge, certaines personnes ayant vraissemblablement été victimes du mal des montagnes suite à une montée trop rapide.

Vers 5h30 du matin, nous sommes au col du dôme, entre le dôme du goûter et le refuge Vallot. Le soleil se lève et illumine progressivement les sommets enneigés d'orange puis de jaune. Un spectacle d'une beauté à couper le souffle.

Nous reprenons l'ascension. Je marche toujours en tête, mais cette fois, je ne dois plus attendre de temps à autre Vlatko qui se sent en pleine forme. Arrivé au refuge Vallot (4.392 m), je propose à Vlatko de continuer car je souhaite me reposer pour récupérer un peu le manque de sommeil. Vlatko décide de rester avec moi et nous passons environ 1 heure dans le refuge qui est mieux que je ne l'avais imaginé. J'en profite pour enfiler ma combinaison de ski au dessus de mon thermolactyle, de mon training et de ma veste polar/Goretex. La température à l'intérieur du refuge ne dépasse guère les 0° tandis qu'à l'extérieur il fait -4°.

Vers 7h30, nous repartons et peu après Vlatko prend la tête. Cette partie de l'ascension me semble vraiment très dure, compte tenu de la forte pente et j'ai de plus en plus de mal à suivre Vlatko. J'ai surtout une envie permanente de dormir. Ici le croisement des cordées qui redescendent est parfois problématique et nécessite un effort supplémentaire. Il y a aussi une crevasse à franchir. C'est ici que la technique apprise à l'école de glace à St Moritz va me servir. A plus de 4.500 m d'altitude, ce n'est malgré tout pas évident de prendre son élan dans la pente pour sauter au dessus de la crevasse et planter à l'horizontale la partie supérieure du piolet dans la glace. Vlatko passe le premier et peu après je le suis. D'autres alpinistes hésitent sur la voie à suivre... Je ne me retourne pas et préfère me concentrer sur la suite.

Au sommet de la première bosse (de l'arrête des bosses) nous faisons une longue pause en plein soleil. Le temps est magnifique et avec ma combi, je peux m'allonger dans la neige sans crainte.

Nous repartons et attaquons la bosse suivante où nous ferons encore une pause au soleil. Peu après nous nous joignons à un autre randonneur qui monte à peu près à la même vitesse que nous. Vlatko est toujours devant. Nous sommes à plus de 4.700 m et attaquons enfin l'arrête sommitale qui doit nous mener au Mont Blanc. Nous avons alors un pied en France et un pied en Italie. Bon sang, ce qu'elle est longue cette montée ! Durant un moment je ne vois plus Vlatko... puis je le vois resurgir et je comprends alors qu'il a atteint le sommet. Encore quelques minutes et j'y serai aussi.

CA Y EST : 4.810 mètres -> nous sommes 3 à être sur le sommet de l'Europe !!! Les prévisions météo ont été rigoureusement correctes : le temps est superbe et le vent ne dépasse guère les 30 à 50 km/h. La vue à 360° est magnifique : on voit les sommets en Italie, on devine le lac Léman, le Jura et même les Vosges.

Nous restons une vingtaine de minutes à profiter du Mont Blanc pour nous tous seuls. Nous sommes en effet partis plus tard que la plupart et beaucoup ne parviennent pas au sommet. Nous commençons maintenant la descente et je comprends vite que si physiquement je n'ai pas de problème, j'ai par contre de plus en plus de mal à rester éveillé. Par sécurité, je décide donc de faire une pause, puis de m'arrêter au refuge Vallot pour y dormir quelques heures. Vlatko insiste toujours très gentiment pour m'accompagner. Arrivé au refuge Vallot, après m'être assuré qu'il y a de la place, il accepte de redescendre, l'idée étant de nous retrouver par la suite au refuge du goûter. Au refuge Vallot, je suis seul et il y a des couvertures en suffisance. Je dors tout habillé avec ma combi et ne risque donc pas de me laisser surprendre par le froid. J'ai aussi pris soin de réchauffer mes pieds avant de m'endormir.

Samedi 19 Juillet

Je ne me réveillerai ... qu'une trentaine d'heures plus tard avec la sensation de me sentir bien mais d'être encore fatigué ! J'espère rejoindre le refuge de Tête Rousse, mais compte tenu de l'heure avancée et de mon état de fatigue je m'arrête au refuge du Goûter. Cette fois-ci, je dors en dessous d'une table et vers 2h30 du matin récupère une couchette libérée par un alpiniste.

Dimanche 20 Juillet

Après le petit déjeuner, je récupère les affaires que j'avais laissées au refuge et commence la descente périlleuse vers le refuge de Tête Rousse.

Au début, je m'assure à l'aide du baudrier, mais je décide finalement de l'enlever car il était toujours réglé pour ma combi et je n'ai pas envie de le régler à nouveau. En outre, il faut constamment enlever et remettre le mousqueton sur la main courante et cela est fatiguant. Idem, lorsqu'il s'agit de croiser des cordées. Je descends donc très lentement et n'hésite pas à faire des pauses. Je m'arrête quelques minutes avant de traverser le couloir de la mort. Je ne suis pas rassuré car à cette heure-ci les conditions sont très défavorables et j'ai déjà observé plusieurs chutes de pierre. Je prends mon souffle et traverse aussi vite que possible ce passage redoutable. J'arrive de l'autre côté et m'adosse à la paroi. Ouf sauvé, je vais pouvoir reprendre mon souffle... Pas tout à fait, car une violente avalanche se déclenche et alors que je pensais être en sécurité, un gros bloc de pierre ricoche dans ma direction et ne passe qu'à quelques mètres. Impressionnant ! Je me remets en route et arrive en début d'après midi au refuge de Tête Rousse où je prends un repas léger. Je récupère aussi tout ce que j'y avais laissé. Je peux encore essayer de descendre jusqu'au nid d'aigle, mais je risque fort de rater le dernier train ou le dernier téléphérique et de devoir y planter la tente ou dormir à la belle étoile. En outre, des orages la nuit ne sont pas exclus. Par ailleurs, nous sommes dimanche et je ne pense pas que le magasin de location soit ouvert, ce qui signifie que je ne pourrai y rendre mes chaussures. Je décide donc de loger au refuge qui cette fois ci n'est pas complet, probablement à cause du mauvais temps.

Lundi 21 Juillet

J'ai pu négocier une place sans voisin et cette fois-ci, j'ai relativement bien dormi. J'ai été bien inspiré de ne pas planter la tente car un violent orage de grèle et pluie arrose la région. J'attends donc dans le refuge que cela se calme. Une simple reconnaissance à l'extérieur a réussi à me tremper en 30 secondes. Vers 9h30, l'orage semble se calmer et je tente une sortie avec mon sac à nouveau bien rempli.

Après une hésitation, je constate que je n'ai pas le choix : compte tenu du vent très violent, je dois cramponner pour retraverser le glacier quelque soit l'itinéraire choisi. Je marche avec beaucoup de difficulté, le vent me déstabilisant constamment.

Arrivé de l'autre côté du glacier, je dois décramponner dans une position difficile et ce n'est pas une sinécure. La force du vent balayé la neige et les cailloux jusqu'à près d'un mètre de hauteur. Lorsque je repars enfin, une rafale de vent manque de me projeter au sol. Je dois donc redoubler de prudence et durant les rafales m'arrêter pour assurer mon équilibre sous peine d'être précipité dans la forte pente. Dans les passages difficiles, chaque changement de pied devient délicat. Heureusement 200 m plus bas, le vent est nettement moins fort et il y a un sentier digne de ce nom.

Le soleil est de la partie, mais à l'horizon de gros nuages qui ne laissent rien présager de bon apparaissent à nouveau. Pour la première fois depuis plusieurs jours, je décide de forcer l'allure afin de gagner l'orage de vitesse. Je ne l'ai pas regretté car au moment où j'arrive au nid d'aigle, l'orage gronde et la pluie se met à tomber de façon soutenue. Il me reste à attendre le train, le téléphérique à rendre mes chaussures puis à repasser la frontière pour arriver en fin d'après midi chez Jean Luc et Christine. Je me repose quelques heures et à 1h30 du matin prend la route pour Bruxelles.

Un grand merci à Jean-Luc et Christine pour leur accueil et pour leur aide.
Notice Légale